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Le plaidoyer de Reginald Scot

The Discoverie of Witchcraft, est l’un des ouvrages les plus importants de la littérature illusionniste et les artistes de l’impossible ne manquent pas de le rappeler. Cependant, on oublie trop souvent que cet écrit est guidé par un intérêt pour une autre magie. Pour cette raison, voici un article basé sur les travaux de Thibaut Rioult qui propose un autre regard sur cette démystification de la sorcellerie.

Source : Internet Archive (numérisation de la Boston Public Library)

Refuter le surnaturel

​En 1584, Réginald Scot, un politicien anglais calviniste, publie The Discoverie of Witchcraft (que l’on pourrait traduire par La Sorcellerie Démystifiée). L’ouvrage est un cheminement en seize livres qui, étape après étape, démontre qu’en dehors des manifestations divines, les phénomènes surnaturels n’existent pas. Ainsi, The Discoverie of Witchcraft devient l’outil politique de Scot pour mettre fin aux persécutions des accusés de sorcellerie et autres magies diaboliques.

​Cette tentative du politicien se situe pleinement dans la logique de la tradition protestante calviniste tenant à enlever tout intermédiaire entre les hommes et Dieu. Toutefois, Scot se distingue de ses prédécesseurs : là où les autres se contentaient de questionner la légitimité des projets de sorcellerie, Scot lui va plus loin. Il s’attaque au sujet même de ces procès. Il remet en question l’existence des phénomènes surnaturels.

Selon lui, seul Dieu peut être à l’origine de miracle. Donc si un miracle ou phénomène surnaturel a une origine non-divine, il ne peut s’agir que d’une illusion. Pour démontrer son hypothèse, Scot développe son analyse et cherche l’essence même de la magie (dans le sens occulte et religieux du terme). Il attribue à cette magie une nature psychologique. Les phénomènes naturels seraient ainsi des phénomènes naturels accompagnés du bon verbiage.

Affirmer l’illusion

​Dans le cheminement du projet de dé-démonisation de The Discoverie of Witchcraft, prennent place les XIIe et XIIIe livres qui traitent de « batelage ». Le terme batelage est ici utilisé comme traduction pour les termes « juggling » et « legerdemain » pertinemment employés par Scot. Un choix intéressant, l’auteur affirme par ces mots la nature fabriquée de l’art qu’il étudie. En effet, même dans le contexte de l’époque, Scot ne doute pas qu’une personne un minimum éduquée sait que les phénomènes présentés par les bateleurs ne sont que trucages, illusions.

​Étonnamment, cette non réalité de la magie simulée des bateleurs est ce qui justifie la discussion du batelage dans un argumentaire de dé-démonisation. Scot compare les deux magies en affirmant que même simulés, les effets de batelage sont quand même plus réels que ceux prétendus de magie (dans le sens religieux et occulte du terme). En effet, là où les sorcières ne font que verbaliser des phénomènes magiques, les bateleurs, eux au moins, les matérialisent. Cependant rappelons-le-nous, ces bateleurs, maintenant considérés seuls vrais magiciens, ne sont que faiseurs d’illusions. Ainsi, quelle crédibilité reste-t-il à la sorcellerie ?

​Et pour le cas où il resterait des sceptiques quant à l’aspect fabriqué des tours de batelage, vient le treizième livre de The Discoverie of Witchcraft, le fameux traité de batelage auquel les illusionnistes se réfèrent si souvent.

Écrire à la postérité

Ce n’est pas pour rien que The Discoverie of Witchcraft est considéré comme l’un « des deux monstres sacrés de l’illusiographie classique ». Cependant, il ne faut pas se méprendre.

L’ouvrage de Scot, n’est pas ainsi considéré parce qu’il serait le premier écrit sur l’illusionnisme. Dès le début du XVIe siècle, on pouvait retrouver des descriptions de tours publiés dans la littérature savante et des revues de colportage. Plus loin dans le temps, vers le XIVe siècle, Les jeux de nature du roi Salomon délivrent les premières explications connues de tours d’illusionnisme en français.

Il n’est pas ainsi considéré parce qu’il serait le premier livre dédié à l’illusionnisme non plus. Publié en 1584, The Discoverie of Witchcraft est précédé de quelques mois par La première partie des subtiles et plaisantes inventions de Prévost paru plus tôt la même année.

Si le traité de Scot a marqué la littérature illusionniste c’est parce qu’il est en grande partie inédit dans son contenu. Les tours décrits par l’auteur sont pour beaucoup révélés pour la première fois. Scot explique des tours de pièces, de gobelets, de cartes et même une version ancienne du « blow book ». Il dévoile également comment simuler une décapitation ainsi que la plante d’un couteau au travers du bras et d’autres tours originaux. De plus Scot ne s’arrête pas là. Curieusement, il dépasse la simple révélation de trucs et donne aussi quelques indications sur les dimensions psychologiques et les mises en scène nécessaires au batelage.

Source : Internet Archive (numérisation de la Boston Public Library)
Source : Internet Archive (numérisation de la Boston Public Library)
Source : Internet Archive (numérisation de la Boston Public Library)

​Tout ceci fait de The Discoverie of Witchcraft un ouvrage précurseur et les héritiers de son savoir n’ont pas manqué de le comprendre. En 1612, la quasi-entièreté des tours du livre The Art of Jugling or Legerdemain de Samuel Rid sont copiés de The Discoverie of Witchcraft. Il en est de même pour la moitié des tours de la brochure The Anatomie of Legerdemain d’Hocus Pocus Junior publié en 1634. Dans un autre registre, l’ouvrage de Scot a même servi de source littéraire à Shakespeare pour Macbeth. Aussi, paradoxalement pour un argumentaire reniant l’existence de la magie, The Discoverie of Witchcraft a servit de grimoire de sorcellerie…

Source : Internet Archive (numérisation de la Boston Public Library)
Source : Internet Archive (numérisation de la Boston Public Library)
Source : Internet Archive (numérisation de la Boston Public Library)

​Pour conclure, regardons The Discoverie of Witchcraft d’un oeil actuel. Il semblerait que ce livre quasi mythique propose une réflexion intéressante sur les liens entre magie et illusionnisme. Ainsi, Scot se retrouve au cœur d’un débat stimulant notre époque. Des siècles plus tard, cette relation mystérieuse est au coeur des développements de nouveaux courants de l’illusionnisme tel que le mentalisme, la magie bizarre, l’illusionnisme fantastique, la magie nouvelle et le (neo)illusionnisme…

Sources

Leduc, A., & Rioult, T. (2021). Les Jeux de nature du roi Salomon : édition des mss. Français 4516 et NAF 4046 (Paris, BnF). Arcana Naturae, 2, 175-198.

Rioult, T. (2018). Illusion du surnaturel et illusionnistes à la renaissance. (Thèse de doctorat publiée par l’auteur). École Normale Supérieure. Paris.

Rioult, T. (2022). Reginald Scot’s The Discoverie of Witchcraft (1584) – Renaissance Magic. In K. Rein (Eds.), Magic: A Companion. Peter Lang.

Scot, R. (1584). The Discoverie of Witchcraft. William Brome. London.

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