S’il y a bien un tour célèbre que tout magicien présente en général au moins une fois dans sa vie, c’est bien celui des anneaux chinois. Mais savez-vous réellement d’où vient ce tour, quelle en est l’origine, et surtout, saviez-vous que ces anneaux sont tout… sauf chinois ? On vous raconte tout ça dans cet article qui est le résumé d’un livret à paraître prochainement sur le sujet !
Les premières descriptions
« L’origine des “Anneaux chinois“ se perd dans la nuit des temps. Qui en est l’inventeur ? Personne ne le sait. D’après Robert-Houdin, ce serait le prestidigitateur Philippe qui les aurait présentés le premier en France ; il les tenait de magiciens chinois qu’il avait connus à Londres. »
Claudius Odin, extrait de Les anneaux chinois

Cette interrogation de Claudius Odin dans la préface de son livre Les anneaux chinois est bien légitime. Si de nombreux magiciens présentent à cette époque le tour des anneaux, personne ne semble en connaître son auteur ni même leur véritable origine. S’il est vrai que Robert-Houdin décrit cette anecdote concernant Philippe dans ses Confidences, Claudius Odin fait une erreur quant à la localisation de l’événement qui se déroule à Dublin et non pas à Londres comme nous le rappelle le maître blésois :
« Trois Chinois, venus de France pour y présenter divers exercices très surprenants, avaient essayé de donner à Paris quelques représentations qui, faute d’une publicité convenable, n’eurent d’autre résultat que de brouiller les trois habitants du Céleste-Empire. En France aussi bien qu’en Chine, lorsqu’il n’y a pas de foin au râtelier, les chevaux se battent, dit-on ; nos trois jongleurs n’en étaient pas arrivés à cette extrémité, mais ils s’étaient séparés. L’un d’eux s’en alla à Dublin, et ce fut là que, sur la demande de Philippe, il lui enseigna le tour des poissons ainsi que celui des anneaux. »
En étudiant les déplacements de Philippe en Irlande, on se rend compte qu’il donne des représentations dans la capitale au moins dès août 1837 à l’Adelphi Theatre. Fait intéressant, on retrouve Philippe avec trois danseurs chinois en novembre de la même année, cela suffit-il à confirmer les propos de Robert-Houdin ? De manière plus générale, Philippe semble apprécier cette culture chinoise et plus largement asiatique puisqu’il présente quelques années plus tard un numéro complet intitulé Une Soirée de Physique Indienne et Chinoise.
Bien qu’il retourne plusieurs fois de suite à Dublin, c’est certainement lors de sa première venue que Philippe apprend le tour des anneaux. Preuve en est qu’un article mentionne ce tour exécuté par Philippe dès 1844 et la gravure Philippe der berühmte Zauberer aus Paris publiée en 1840 montre Philippe réalisant le tour des bocaux de poissons. Si le récit de Robert-Houdin s’avère vrai, et que Philippe a bel et bien appris le tour des poissons et des anneaux en même temps, alors c’est vraisemblablement entre 1837 et 1840, quelque part dans Dublin.

Mais si le prestidigitateur Philippe est le plus ancien maître des anneaux dont Robert-Houdin se souvienne, cela ne signifie pas – loin s’en faut – qu’il est le premier à les pratiquer sur le continent européen. En effet non loin de Philippe en 1837 se déroulent déjà les performances d’Anderson, The great wizard of the North, qui à Carlisle (Angleterre) présente déjà les « Chinese rings ». Citons aussi Kien Long « the celebrated Chinese Juggler, [who] will go through his astonishing Feats with Rings, Balls, Plates, &c. ».
Il semble alors très difficile de retrouver une description précise du tour tel qu’il était réalisé à cette époque. Seul un extrait de la Kentish Gazette de 1838 nous donne quelques renseignements sur la façon de faire de M. Jacob alors qu’il était en représentation à Canterbury (Angleterre) :
« The variety of forms into which the Chinese rings were thrown, by a sudden jerk of the wrist or a wield of the arm, was astonishing ; the more so as, upon a strict examination of the rings, it was impossible to discover the joints by which they could be linked together. »
Bien que très concis, cet extrait à l’avantage d’être contemporain des premières représentations d’anneaux chinois de Philippe, Anderson et quelques autres. On s’aperçoit que l’idée de créer des « figures » avec les anneaux n’est pas nouvelle, et que les cercles de métal étaient déjà laissés à un examen approfondi. Nous ignorons cependant si le spectateur faisait, comme de nos jours, partie intégrante du numéro en procédant à l’examen du matériel puis faisait office d’assistant du magicien ou s’il était simplement invité à examiner les anneaux avant le tour.
Au-delà de cette description, nous ne sommes pas parvenus à en retrouver d’autres avant la description détaillée que donne J.-N. Ponsin dans son premier tome de la Nouvelle magie blanche dévoilée (1853). L’auteur y montre non seulement que des « objets d’un petit diamètre […] [comme] des anneaux » sont déjà utilisés par les magiciens dans certains de leurs tours, et va jusqu’à donner un moyen de les escamoter mais surtout décrit avec grande précision le « Tour des grands anneaux que l’on fait voir séparément fermés et bien soudés, et qu’on entrelace à la vue des spectateurs ».
Il s’agit vraisemblablement de la première description aussi longue et précise du tour des anneaux en français. Ponsin donne force de détails sur comment ce numéro était alors présenté à l’époque :
« Ces anneaux sont ordinairement au nombre de six ; ils peuvent être en cuivre ou en fer. Leur grandeur est variable, mais, terme moyen, on leur donne environ 20 centimètres de diamètre ; quant à l’épaisseur du fil métallique dont ils sont faits, 7 à 8 millimètres suffiront. »
L’auteur continue sa description avec le fameux truc permettant à ce tour de se faire :
« De ces six anneaux, il y en a un seul d’ouvert, deux sont entrelacés et soudés; les trois autres sont séparés et soudés aussi. L’ouverture du premier est un peu plus large que l’épaisseur des branches dont ils sont formés. On dit : « Voici six anneaux qui sont solidement soudés. » On les compte : 1, 2, 3, 4, 5 et 6. On les éloigne peu en les comptant, afin qu’on ne s’aperçoive pas qu’il y en a deux qui tiennent ensemble. »
Près de 160 ans plus tard, il est flagrant de constater que les choses n’ont pour ainsi pas bougé d’un iota. Le comptage se fait toujours dans la majorité des cas de cette façon, et le principe d’avoir un anneau clef pour deux déjà soudés n’a pas été modifié (pour ce qui est des versions les plus connues, chaque magicien pouvant évidemment adapter ce tour à sa convenance). Le nombre de 6 anneaux semblent également avoir été retenu de nos jours, même si J.-N. Ponsin précise plus loin que « chacun a sa façon d’exécuter. Il y en a qui doublent et même triplent le jeu des anneaux ce qui en fait douze ou dix-huit. Alors, on peut faire de plus grandes chaînes et des figures plus variées ; mais cela ne surprend pas davantage les spectateurs, et, selon moi, cette multitude d’anneaux ne sert qu’à mettre de la confusion et de la lourdeur dans l’exécution. Je préfère ce tour avec six anneaux seulement. ».
Les différents mécanismes
Plusieurs années après la parution du livre de Ponsin, Robert-Houdin écrit dans Comment on devient sorcier (1878) sa propre description du tour des anneaux. Accompagnée de nombreuses gravures pour aider la compréhension du texte, quelques détails changent de la version de Ponsin. On note par exemple que Robert-Houdin décrit la version « doublée » de celle de Ponsin, c’est-à-dire à douze anneaux. Enfin, remarquons les figures que Robert-Houdin se propose de faire avec ces anneaux métalliques : celles de l’étrier, ou encore de la sphère, figures toujours présentées de nos jours.

Lorsque le tour des anneaux est fait proche des spectateurs, le maître blésois conseille la version « clef mécanique » : « les extrémités de la clef doivent se toucher et sont même réunies par une petite pointe entrant dans un trou conique à la façon de certaines boucles d’oreille ». Ce système est atypique, et relativement peu courant notamment pour son exécution bien plus délicate que la version classique avec la simple ouverture. On retrouve cependant cette méthode de « clef mécanique » décrite dans un manuscrit espagnol sans date et sans auteur du XIXe siècle qui consacre un chapitre entier à « Los anillos del indostan » comprendre : « les anneaux indous », autre noms de ce tour célèbre. Le manuscrit donne d’ailleurs pour origine les Indes à ce tour emblématique bien qu’il dise que cette expérience fut vue pour la première fois à Paris.
En plus d’être certainement l’une des premières descriptions du tour en espagnol, le détail de ce type de mécanisme est également très rare. Dernier point et non des moindres, le manuscrit fait de nombreuses références à Philippe, et le fait qu’il indique que ce tour vienne de Paris et donne la méthode pour réaliser ce tour avec huit anneaux (le même nombre que Philippe utilisait) peut nous mener à formuler l’hypothèse que Philippe présentait lui-même ce tour avec une telle clef.
Si cela venait à se vérifier, il serait étonnant de voir que ce tour s’est propagé dans sa version la plus simple (i.e. avec une simple clef ouverte, non mécanique) chez les principaux marchands de trucs de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Bien que le catalogue de Roujol (catalogue que l’on peut considérer comme le premier du genre) ne fasse aucune mention de ce tour, les marchands suivants ne manqueront pas de le proposer. Citons à cet effet, et parmi tant d’autres, L. Baudot, J.-L. Rousselin ou encore J. Caroly qui les présente à son tour sous le nom « d’anneaux indiens ».

Une origine encore à définir
Si le XIXe siècle semble être le moment où le tour des anneaux se popularise et voit sa forme moderne apparaître, l’origine de cet effet est bien plus ancien.
En 1785, le célèbre Joseph Pinetti décrit dans ses Amusemens physiques une « manière de faire changer de main un anneau […] en se faisant tenir les bras par quelqu’un, pour empêcher qu’ils ne se communiquent ». S’il n’est pas question du tour des anneaux chinois, on remarque tout de même que l’utilisation d’anneaux de plus ou moins grande taille dans les spectacles d’illusions était déjà d’actualité.
C’est par ailleurs la même année que le rival de Pinetti, Henry Decremps, publie son Supplément à la magie blanche dévoilée dans lequel il révèle l’existence d’anneaux légèrement fendus pour se libérer de ses chaines avec à la fin du tour un change des anneaux pour les laisser à l’examen. On retrouve ainsi bien le concept d’anneaux clef mais pour un tout autre tour. Cela est intéressant dans la mesure où l’on peut faire l’hypothèse que les tours à base d’anneaux semblent avoir une même origine de base : celui de l’évasion. En effet, quel autre intérêt au départ pour le magicien que d’utiliser des anneaux pour la réalisation d’un tour ? Comme pour chaque illusion, le contexte est primordial, et l’on ne peut utiliser des accessoires dont l’emploi ne se justifie pas.
Chaque homme rêverait de pouvoir se libérer de chaines auxquelles on l’aurait attaché, et c’est sûrement dans cette optique que de nombreux effets d’évasion entre des personnes liées entre elles sont décrits dans différents livres, comme dans les Recréations mathématiques et physiques (1725) où l’auteur décrit un moyen de « faire échapper deux personnes dont les mains sont liées par des cordes entre elles. ». Si le matériel est tout autre, le concept des anneaux qui s’enclavent entre eux n’est jamais bien loin, et ce tour fait sans doute office d’une transition subtile vers celui des anneaux chinois.
Il ne faut cependant pas croire que les anneaux chinois apparaissent à cette période là. Les tours d’évasions de cordes encore décrits en 1725 sont les vestiges des prémices du tour des anneaux, et on retrouve déjà les anneaux chinois quelques années auparavant vers 1700 dans L’Alexis Firmaco, ou antidote pour passer la mélancolie par Thomas L’Escot. Il est expliqué dans ce livret comment « faire semblant de rõpre trois anneaux de fer qui sont enlassez l’un dans l’autre ». Dans cette courte description, accompagnée d’une figure, il est mention d’un anneau clef ayant une « crevasse » qu’il vous faut « cacher en votre main ».
Encore plus tôt, et près d’un siècle avant la parution de ce livret, le manuscrit La magie du Pont Neuf (s.d. [1643-1654]) propose de « Faire que trois anneaux séparés s’enchainent l’un dans l’autre en les jetant en l’air ». Cette description a le mérite d’apporter un dessin de ce tour, mais celui-ci n’est exécuté qu’avec trois anneaux (dont un anneau clef). Autre point intéressant, l’effet se résume alors simplement à enclaver et désenclaver une seule fois trois anneaux montrés séparés. Preuve que l’effet est rapide et presque considéré comme anecdotique à l’époque, l’auteur insiste sur la nécessité de mettre le tout en scène car « en matière de tours qui ne vaillent guère d’eux-mêmes, ils valent encore moins si l’on ne les ajuste pas par l’enjolle, et par la subtilité des mains ».

Il s’agit certainement de la première description française du tour des anneaux, bien qu’elle soit dans une version des plus simplifiées. Si nous retrouvons des mentions encore légèrement plus anciennes de ce tour, ce n’est que par fragment ou de manière très elliptique et toujours d’un point de vue du spectateur racontant l’effet, et non pas du point de vue du magicien l’exécutant.
Citons à cet effet Jérôme Cardan qui vers 1550 dans De la subtilité, subtiles inventions, ensemble les causes occultes et raisons d’icelles (Livre XVIII), évoque que certains bateleurs sont capables de « nouer les chaines de fer, les anneaus demeurás entiers : ains en les jetant en haut, j’ai veu trois anneaus tombés s’entretenir, qui paravant étaient entiers et séparés […] ». Ce nouveau témoignage presque un siècle avant La magie du Pont-Neuf nous prouve que le tour des anneaux était certainement présenté avec seulement trois anneaux à son origine, avant d’évoluer vers des cercles de métal toujours plus nombreux.
Il faut également regarder du côté italien pour trouver une mention semblable d’anneaux utilisés à des fins magiques vers 1550. Dans Opera nuova non piu vista l’auteur, Francesco da Miláo, écrit les quelques lignes suivantes :
« Far uno giocho de tre catene che pareran no tutte tre una sola. Farai far tre anelli da cadena doi ne farai interi & uno spicato & tu lo potri fare integro, & disfarai a posta tua, & no la dar in mano adaltri, acio che non s’corgino di quella rotta. »
Il s’agit très certainement de la première description d’un anneau clef pour le tour des anneaux dans la littérature magique, décrit ici comme « rotta » (« cassé »). Si différentes bibliographies nous donnent la date estimée de 1550 pour la publication de cet ouvrage, nous n’avons pas beaucoup plus de précision.
On regrettera l’absence de ce tour, devenu un classique de nos jours, chez I. Prevost (1584) dans sa Première partie des subtiles et plaisantes inventions. Bien que considéré comme le livre français fondateur de la magie, de nombreux effets que l’on aurait pu attendre dans ce livre ne sont pas évoqués, comme le célèbre tour des gobelets. Peut-être que l’auteur réservait ces classiques pour sa seconde partie (qui semble ne jamais avoir vu le jour ?). Quoi qu’il en soit, un chapitre entier est tout de même consacré aux tours avec « aneau » et il y est tout de même mention de faire sortir un anneau d’une corde nouée par les deux bouts, qui se rapporte plus aux quelques dérivées du tour des anneaux comme nous l’avons vu précédemment.
Citons enfin Symon de Millan qui vers 1545, à défaut de mentionner le tour des anneaux décrit tout l’utilisation d’un anneau dans un tour où il est question de « transférer un anneau d’un mouchoir à un gobelet ».
Les anneaux chinois de nos jours
Comme nous l’avons vu, les numéros d’anneaux chinois actuels n’ont en réalité pas grand chose de nouveau et se font depuis la nuit des temps.
Enfin, si le tour des anneaux ne semble plus beaucoup évoluer ces dernières années, si ce n’est que par quelques nouvelles passes ici ou là, une direction nouvelle et récente est venue compléter cet effet. Le magicien Victor Voitko a en effet su mélanger cette routine classique avec des effets de lévitation. C’est ainsi que les anneaux s’enclavent désormais entre eux dans les airs, ou volent jusqu’au magicien.