Jean-Eugène Robert-Houdin : Le père de la magie moderne

Jean-Eugène Robert-Houdin, souvent appelé le père de la magie moderne, est un illusionniste français du XIXe siècle qui a eu une forte influence sur la magie et son histoire. Connu pour les tours qu’il a améliorés et pour les innovations qu’il a apportées, nous retracerons dans cet article quelques uns des faits marquants de sa vie, sans toutefois pouvoir être exhaustif.

Frontispice des Confidences

Les débuts de Jean-Eugène Robert

Né le 7 décembre 1805 à Blois, Jean-Eugène Robert n’était pas destiné à devenir le magicien que nous connaissons aujourd’hui. Fils d’un horloger, il commence naturellement son apprentissage dans l’horlogerie, une profession qui influencera grandement ses futurs exploits dans le domaine de la magie. Mais son père, Prosper Robert, destine Jean-Eugène a des études de droit, aussi ce dernier passe sept années de sa vie à en apprendre les rudiments au collège d’Orléans. Cela lui permet plus tard de commencer à travailler comme clerc de notaire, un travail qui ne plaît guère à l’esprit de Jean-Eugène Robert qui a trop l’esprit occupé par la mécanique.

C’est à la suite d’une erreur d’un libraire nommé Soudry, dit-on, qu’il découvre par hasard l’art de la magie. En effet, alors qu’il était venu chercher le Traité d’Horlogerie de Berthoud, le libraire aurait fait une erreur et lui aurait tendu à la place le Dictionnaire Encyclopédique des Amusements des Sciences Mathématiques et Physiques.

C’est une révélation. Jean-Eugène en parlera même dans ses mémoires : « Je dévore les pages du mystérieux in-quarto, et, plus j’avance dans ma lecture, plus je vois se dérouler devant moi les secrets d’un art pour lequel j’avais, à mon insu, plus que de la vocation. ». Il étudie alors sans relâche la discipline, s’entraînant encore et encore pour en maîtriser les manipulations apprises dans les livres. Alors qu’il continue en parallèle à s’intéresser à la mécanique, un épisode va venir chambouler tous ses plans : la rencontre avec le magicien itinérant Torrini. Jean-Eugène racontera dans ses mémoires en détails comme Torrini lui a sauvé la vie, en le récupérant inconscient sur le bord d’une route après avoir fait une intoxication alimentaire. Soigné dans sa caravane en chemin pour donner de nouvelles représentations, Torrini va alors apprendre à Jean-Eugène Robert les rudiments de l’art de la magie, art qu’il avait déjà rencontré quelques années plus tôt dans le Dictionnaire encyclopédique. A son retour, c’est décidé, il sera lui aussi magicien. Certains avancent que cette rencontre avec Torrini serait une fable racontée par l’auteur pour romancer sa découverte et son apprentissage de la prestidigitation. Nous n’aurons ici pas la prétention de l’affirmer sans preuve.

Son intérêt et son appétence pour la mécanique et les automates fera de lui un magicien mêlant ces deux univers dans ses spectacles. Il utilisera ses talents d’horloger pour concevoir certains de ses automates comme l’oranger merveilleux ou Antonio Diavolo. Son talent naturel pour l’innovation et sa maîtrise des principes scientifiques ont rapidement fait de lui une figure incontournable dans le milieu des illusionnistes.

C’est en 1830 que Jean-Eugène Robert épouse Cécile-Eglantine Houdin. De ce mariage Jean-Eugène Robert va accoler le nom de famille de sa femme pour former le nom de scène sous lequel il sera par la suite connu : Robert-Houdin. 

Un premier succès dans la mécanique

Le jeune Robert-Houdin va tout d’abord briller dans la discipline qu’il connaît et maitrise depuis maintenant bien longtemps : l’horlogerie et la mécanique. Le 20 septembre 1837, il dépose un premier brevet pour une invention : le réveil-briquet. Cette invention permet à l’utilisateur de régler un horaire sur une petite pendule miniature, horaire auquel ce réveil sonnera pour réveiller le dormeur… tout en allumant une allumette ! Une innovation pratique à une époque où l’électricité n’en est qu’à ses balbutiements et où il n’y a évidemment pas les interrupteurs pour allumer la lumière tels qu’on les connaît aujourd’hui. Ce sont plusieurs brevets que Roebrt-Houdin déposera au cours de sa vie, pour certaines des nombreuses inventions qu’il créa (le taximètre, l’appareil pour les touches des escrimeurs, etc.)

Deux ans plus tard, Robert-Houdin remet cela et propose une nouvelle idée qu’il commercialise sous le nom de Pendule mystérieuse. Il associe avec cette innovation la mécanique, l’horlogerie et un soupçon de magie. Cette pendule d’un genre spécial donne l’heure de manière étonnante : les aiguilles ne semblent reliés à rien d’autre d’un cadran entièrement transparent, ne montrant aucun mécanisme apparent. Il existe plusieurs versions de cette pendule, dont la plus belle est sans doute celle dite à « trois mystères ». Le premier mystère consiste en des aiguilles qui bougent sans mécanisme apparent. Le second mystère tient du fait que le cadran repose sur un cylindre entièrement transparent, montrant qu’il n’y a aucune transmission possible. Enfin, le dernier mystère réside dans le socle qui ne semble pas relié à l’ensemble précédemment décrit. En cela, cette pendule donne l’heure sans aucun mécanisme apparent, un objet d’art qui est une prouesse pour l’époque et qui ne fait qu’accroître la popularité de Robert-Houdin.

Pendule dite à trois mystères

Vous pouvez en apprendre plus sur cette pendule dans la courte vidéo ci-dessous la présentant sous tous ses angles :

Nous pourrions continuer longtemps sur les succès mécaniques et horlogers de Robert-Houdin, aussi nous terminerons cette partie sur un automate qu’il présente pour la première fois le 1er mai 1844 lors de l’exposition universelle : l’écrivain dessinateur. Le public de Paris s’empresse d’aller voir de leurs yeux ce merveilleux automate qui parvient à écrire des mots en autonomie et à dessiner sur demande quelques croquis. On dit que le roi Louis-Philippe lui-même faisait partie des admirateurs de cette pièce mécanique qui aurait demandé à Robert-Houdin presque deux années de travail. Enfin, sur le plan de la musique, on connaît également de l’artiste blésois un automate intitulé La leçon de chant dans lequel une femme et un oiseau chantent de concert.

Détail d’une rare lithographie montrant l’automate écrivain dessinateur

Alors que Robert-Houdin a acquis un nom dans le domaine de l’horlogerie et des automates, il lui reste un domaine qu’il a toujours continué en parallèle mais dans lequel il ne s’est encore pas beaucoup produit : celui de la prestidigitation. Un an plus tard, le 3 juillet 1845, il donne alors sa première représentation publique de magie au Théâtre des Soirées fantastiques

Le théâtre des soirées fantastiques

En 1845, Robert-Houdin ouvre son théâtre privé au Palais-Royal, situé au 11 rue de Valois à Paris. Ce théâtre, nommé le « Théâtre des Soirées Fantastiques », est devenu la scène principale de ses performances et un lieu essentiel pour la magie à Paris. Chaque soirée était un mélange unique de magie, d’illusion et de technologie, attirant des foules curieuses. il y présente notamment des expériences qui font sa renommée : L’oranger mystérieux, Antonio Diavolo, La boite magique ou encore la Suspension éthéréenne.

Prenons le temps de décrire l’une de ces expériences, par exemple celle de l’oranger merveilleux où une bague est empruntée à une spectatrice. Cette bague disparaît entre les mains du magicien, qui présente alors à l’assemblée un petit arbre : un oranger. Quelques instants suffisent pour qu’à vue, l’oranger commence à voir ses fleurs pousser, puis des oranges progressivement apparaître dans ses feuillages. L’illusion est parfaite, et vient se terminer en apothéose avec l’apparition d’une orange au sommet de l’arbre qui s’ouvre et de laquelle sortent deux papillons, portant du bout de leurs pattes un mouchoir dans lequel est noué la bague qui avait été empruntée.

Avec ses Soirées Fantastiques, il définit la magie comme une forme d’art élégante et intellectuelle, la mettant en valeur dans les murs d’un théâtre conçu pour l’occasion. Des personnalités influentes du monde entier venaient assister à ses spectacles, ce qui augmentait encore sa renommée. L’une des premières grandes contributions de Jean-Eugène Robert-Houdin à la magie fut son utilisation d’automates, en bon fils d’horloger. Il n’est pas le premier à en utiliser dans des spectacles de magie, mais il en popularise ce genre de spectacles. Les automates comme Antonio Diavolo (le voltigeur au trapèze), le pâtissier du Palais Royal (un faux automate), l’oranger merveilleux, sont autant de pièces créées spécifiquement pour le public parisien. Ces créations ont non seulement servi de divertissement, mais elles ont également démontré comment la science pouvait être intégrée dans des spectacles pour générer un sens profond de l’émerveillement chez le public.

En 1854, le théâtre Robert-Houdin est déménagé au 8 boulevard des italiens, à Paris. Le magicien cédera la gestion de ce théâtre à Pierre Étienne Chocat alias Hamilton qui épousera la sœur d’Olympe Braconnier qui fut la seconde femme de Robert-Houdin.

Charles Levy. « Théâtre Robert-Houdin, 8 boulevard des Italiens – l’Escarpolette Polonaise, grand truc extraordinaire de Monsieur Georges Méliès ». Affiche. Paris, musée Carnavalet.

En 1879, le fils de Robert-Houdin, Émile Robert-Houdin, devient le nouveau propriétaire du théâtre. Après son décès, sa veuve vend la salle de spectacle et son matériel à Georges Méliès, illusionniste reconnu et inventeur des effets spéciaux au cinéma. C’est Georges Méliès lui-même qui racheta une partie des automates de Robert-Houdin pour continuer de les présenter.

Portrait d’Emile Robert-Houdin par Dantan, 1846, musée Carnavalet (Paris).

Le 30 janvier 1901, un incendie se déclare chez un photographe situé au dessus du théâtre, et ce dernier est en partie détruit. En 1917, Henri Maurier est le dernier prestidigitateur du théâtre. Son activité décroît progressivement, et si des séances sont toujours données ci et là, le théâtre cesse toute activité en 1920. Il sera démoli quatre ans plus tard pour permettre l’aménagement du boulevard Haussmann.

Le théâtre Robert-Houdin sur le boulevard des italiens

La retraite au prieuré

Robert-Houdin se retire de Paris en cédant comme nous l’avons vu son théâtre à son fils, après un immense succès pour son théâtre. Le magicien part alors habiter à Saint-Gervais-la-Forêt, près de Blois, dans une maison qu’il appellera Le prieuré. Là bas, il se consacre à ses recherches sur l’ophtalmologie, l’électricité et en profite pour écrire ses livres dans lesquels il détaille certains de ses secrets, livres qui auront un grand succès.

Mais cette maison n’était pas sans rappeler la passion qu’avait Robert-Houdin pour la mécanique, la science et la prestidigitatrice. Le prieuré était en effet un endroit où de nombreuses choses furent automatisées grâce à l’électricité. Le cheval du maître blésois recevait sa ration automatiquement, on pouvait connaître le nom de lettres reçues grâce à un ingénieux système qui permettait de ne pas quitter la maison, et un banc venait même chercher les visiteurs à l’entrée du domaine pour les amener jusqu’à la maison !

Carte postale ancienne d'un immeuble de trois étages étiqueté « Saint-Gervais (L-et-Ch.) - Le Prieuré ». L'image montre une grande maison avec plusieurs fenêtres à volets, une petite structure adjacente et un puits décoratif au premier plan.

A ce propos, vous pouvez lire notre article dédié sur le prieuré de Robert-Houdin en cliquant juste ici.

La mission en Algérie

Revenons quelques temps en arrière, un jour d’octobre 1856, alors que le succès est au rendez-vous pour Robert-Houdin. Ce dernier reçoit alors une lettre du gouvernement français, lui demandant de servir son pays en se rendant en Algérie pour combattre les marabouts. Il se rendra alors disponible pour répondre à cette solicitation qui a pour but de freiner la menace que représentent les marabouts kabyles pour la pacification entreprise par la France en Afrique du Nord. A ce combat, Robert-Houdin est invité à se battre à armes égales : si les marabouts prétendent avoir des pouvoirs magiques, le maitre blésois devra leur prouver la supériorité de la magie française, en présentant des expériences qui doivent finir d’asseoir la suprématie française dans ce domaine et ainsi retrouver le calme. Robert-Houdin en dit ceci dans ses mémoires :

« Il fut convenu que je serais rendu à Alger pour le 27 septembre (1856), jour où devaient commencer les grandes fêtes que la capitale de l’Algérie offre annuellement aux Arabes. […] On n’ignore pas que le grand nombre des révoltes […] ont été suscitées par des intrigants qui se disent inspirés par le Prophète, et qui sont regardés par les Arabes comme des envoyés de Dieu sur la terre, pour les délivrer des […] roumi (chrétiens). Or, ces faux-prophètes, ces saints marabouts qui, en résumé, ne sont pas plus sorciers que moi, et qui le sont encore moins, parviennent cependant à enflammer le fanatisme de leurs coreligionnaires à l’aide de tours de passe-passe […]. »

Cette mission à l’initiative du colonel de Neveu est un succès, et Robert-Houdin parvient à montrer des tours qui étonnent les marabouts algériens qui signent alors un document reconnaissant la supériorité de la France. Parmi les tours présentés lors de ce séjour, Robert-Houdin décrit sans ses mémoires comment il est parvenu à créer sur place, et presque à l’improviste, une version de l’homme fusillé vivant. Après une nuit entière de préparatifs, Robert-Houdin présente à un marabout deux pistolets, et lui demande d’en prendre un, de le charger d’une balle et de lui tirer dessus. Au coup de feu, au lieu de s’écrouler, l’artiste parvient à attraper entre ses dents la balle tueuse. C’est la stupéfaction. Robert-Houdin prend alors la seconde arme et tire à bout portant contre un mur : à l’impact de la balle, une tache de véritable sang apparaît sur le mur. C’est le choc pour les marabouts, qui ne peuvent que reconnaître la supériorité de Robert-Houdin en qui ils voient un homme aux dons surnaturels.

D’aucuns diront que cette mission contribua à apaiser les tensions qui régnaient alors dans la région algérienne. Fort de sa réussite, Robert-Houdin revint dans son prieuré de Saint-Gervais-le-Forêt près de Blois pour y couler une retraite dans laquelle il continua ses activités d’expérimentations et d’écriture, jusqu’à sa mort qui survint en 1871.

Impact culturel et héritage de Jean-Eugène Robert-Houdin

Un précurseur inspirant pour les générations futures

Jean-Eugène Robert-Houdin a laissé un héritage indélébile dans le monde de la magie. Ses idées novatrices et ses techniques ont posé les jalons sur lesquels de nombreux magiciens modernes ont construit leurs propres carrières. Il est largement considéré comme une inspiration majeure pour les artistes suivants, incluant Harry Houdini, qui choisit son nom de scène en hommage à Robert-Houdin.

Ses écrits, notamment Confidences d’un Prestidigitateur, offrent un aperçu fascinant de ses méthodes et philosophies. Ils continuent d’être une source d’intérêt pour les historiens. De manière plus large, ses œuvres reflètent comment une discipline peut évoluer lorsqu’elle s’appuie sur des principes scientifiques solides et créatifs.

Livre Confidences de Robert-Houdin
Les Confidences de Robert-Houdin

La maison de la magie de Blois

Dans sa ville natale, à Blois, un musée lui est dédié sous le nom de Maison de la magie. On y retrace l’histoire du maître blésois, tandis que des dragons montent la garde du musée en apparaissant à chaque heure sur la façade du monument. Inauguré le 1er juin 1998, le musée se situe dans une imposante maison placée en face du château royal de Blois. En plus des collections (temporaires et permanentes, réparties sur plus de 2 000 mètres carrés), un spectacle de magie se déroule entre ses murs, pour le plus grand bonheur de ceux qui la visite. Au détour d’un parcours sur les illusions d’optique et sur l’histoire de la magie, vous en apprendrez plus sur la vie de Robert-Houdin, cet artiste qui fut également homme de sciences. Un passage obligé si vous êtes en Loir-et-Cher !

Maison de la magie Robert-Houdin de Blois et ses dragons

C’est également à la maison de la magie que se trouve le signe du C.N.A.M.I, le Conservatoire National des Arts Magiques et de l’Illusions

Site internet de la Maison de la magie et billetterie : https://www.maisondelamagie.fr
Adresse de la Maison de la magie : 1 place du Château, 41000 Blois
Site internet du C.N.A.M.I https://cnami.fr

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