Comment créer un spectacle de magie ?

Petit guide rapide à l’usage des curieux

Introduction

Ça y est, c’est décidé, vous souhaitez vous lancer dans l’aventure et écrire un véritable spectacle. Vous commencez à l’imaginer, il sera comme ceci, avec un peu de cela… mais tout se mélange. Dois-je commencer par trouver un personnage pour après réfléchir aux tours que je présenterai ? Ou peut-être l’inverse ? Comment écrire le texte pour qu’il soit suffisamment intéressant pour le public ? Et puis, comment apprendre ces pages entières de texte par cœur ?

Autant de questions (normales à se poser on vous rassure), qui peuvent donner le vertige. Il était plus que jamais temps de reprendre les choses posément, et de les étudier point par point pour arriver à votre objectif final : créer votre propre spectacle de magie de zéro.

Le concept global de votre spectacle

Tout d’abord, quelques points importants sont à préciser en ce qui concerne votre spectacle. Ces quelques points que nous allons voir sont les premiers mots qui décriront votre spectacle, les premières briques de celui-ci.

L’une des premières questions à se poser est sur le type de spectacle que vous souhaitez présenter : s’agit-il d’un spectacle de close-up ? D’un spectacle qui se jouera sur scène ? Ou encore d’un spectacle qui se jouera en déambulant dans un lieu (comme dans un festival par exemple) ? Chaque type de spectacle a ses contraintes et ses points forts, il s’agit là de fixer les idées sur ce que vous souhaitez présenter.

Une fois le type de spectacle verrouillé, il vous faut penser au public idéal à qui vous le présenterez. S’agit-il d’un public exclusivement composé de magiciens ? Auquel cas il vous faudra mettre l’accent sur la création d’effets nouveaux. Le public est-il composé de scientifiques ou d’experts d’un domaine (c’est le cas si votre spectacle est amené à être joué en convention par exemple) auquel cas vous devrez vous aussi être un expert dans ce domaine, sans quoi vous vous décridibiliserez en racontant n’importe quoi. S’agit-il d’un spectacle pour enfants ? Si oui, nous vous recommandons d’étudier les livres traitant du sujet, comme Spectacle pour enfants: Le guide complet de Danny Orleans par exemple). Enfin, le public peut aussi très bien être un public « classique » sans véritable dominante. Cela veut dire que vous devrez donc rester large sur ce que vous présenterez, ou en tous cas expliquer tout ce que vous présenterez de façon à ce que personne ne soit laissé de côté.

Enfin, parlons du thème général du spectacle. Si vous souhaitez écrire un spectacle, c’est que vous avez certainement une impulsion de départ, une bribe d’idée, une émotion particulière que vous souhaiteriez transmettre, un thème que vous souhaiteriez aborder durant ce spectacle. Peu importe de quoi il s’agit, ce mot-clef sera la brique élémentaire de laquelle découlera tout votre spectacle. Cela peut être un thème qui désigne un endroit (un pays par exemple, vous pourriez présenter un spectacle de magie japonaise entre autres, sur le cinéma, …), un thème basé sur une histoire dont vous auriez le début (une romance entre deux personnes, …) ou encore un concept plus abstrait (représenter une bataille entre le bien et le mal, …). 

Ainsi, parti de zéro, vous savez désormais quel type de spectacle vous souhaitez présenter, le thème général de celui-ci avec votre mot-clef, et vous avez même un public cible auquel le présenter. Nous pouvons donc commencer à rentrer dans les choses sérieuses en voyant comment passer d’un simple mot clef à un véritable univers…

Créer un univers

Vous avez votre thème, un mot clef, une émotion, bref, un mot ou deux qui représentent l’essence même de votre projet. Il nous faut aller plus loin, et s’imprégner de ce thème pour en créer tout un univers cohérent. Prenons un exemple pour illustrer la chose : je souhaite créer un spectacle sur le thème « steampunk » mais je n’ai encore aucune idée d’intrigue, ni d’effets à présenter, et encore moins d’univers. Pas de panique, commençons à nous pencher là-dessus !

Une bonne chose à faire, consiste d’abord à s’imprégner des ressources qui existent sur internet et ailleurs et qui parlent de ce thème. Pouvez-vous trouver un livre parlant de ce thème ? Que ce soit un livre documentaire ou un roman peu importe. Peut-être y a-t-il une ou plusieurs séries classiques à regarder à ce sujet ? Une musique à écouter sur ce thème ?

L’idée est de créer un dossier sur votre ordinateur et d’y mettre, en vrac, absolument tout ce que vous trouverez. L’idée n’est pas pour l’instant de faire une sélection, mais juste de plonger entièrement dans l’univers en question. A force d’ajouter des images trouvées ici et là, une cohérence graphique va se former, des couleurs dominantes vont apparaître, un style va s’imposer, des vêtements vont devenir logiques à porter. Une bonne chose à faire est de regarder sur des sites comme Pinterest ou Instagram ce que les internautes ont posté par rapport au thème recherché. Ces sites sont de véritables mines d’or et vous permettent de créer des albums (des moodboards) en sauvegardant les contenus que vous aimez.

Aux images, commencez à associez des sons. Cela peut être des musiques bien sûr, mais aussi des bruits (des bruits de mécanismes, d’horlogerie, ou de machine à vapeur par exemple pour le steampunk). Associez également les odeurs qui pourraient se trouver dans cet univers. Il pourrait être intéressant dans votre spectacle d’avoir une odeur d’ambiance qui plonge encore plus les spectateurs dans l’univers que vous êtes en train de créer. C’est ce genre de détail qui fait passer un spectacle de bon à complètement immersif…

Ces recherches vous permettent ainsi de commencer à concevoir un univers cohérent dans lequel votre personnage évoluera. En parlant du personnage justement, il est temps de se pencher sur la question. Il faut que vous puissiez, même si le sujet n’est pas abordé dans votre spectacle, expliquer ce que votre personnage fait comme métier dans la vie. Peu importe que cette question soit directement abordée ou pas dans votre spectacle, le fait de le savoir et de l’écrire rendra l’ensemble plus logique. Il faut que vous puissiez raconter la vie de ce personnage en détails. Après tout, vous allez être dans sa peau lorsque vous serez sur scène. Ne pas savoir dans quoi on met les pieds ne pourra amener rien de bon. Vous ne pourrez pas être cohérent et avoir un spectacle immersif si vous ne savez même pas quelles sont les habitudes de votre personnage. Peut-être a-t-il des tics de langage ? Des mauvaises habitudes ? A-t-il une famille et qui compte-t-il dans ses amis proches ? Où habite-t-il, quel métier fait-il ? C’est en répondant à toutes ces questions que l’ensemble découlera tout seul, que la logique s’imposera à vous. Ces réponses sont autant de portes possibles pour les axes de narration qui structureront votre spectacle.

Par exemple pour reprendre notre personnage steampunk, plutôt que de « juste » faire une magie dans un décor steampunk, il pourrait être intéressant de créer un axe narratif autour du personnage. En se demandant qui est ce personnage et ce qu’il fait dans la vie, nous pourrions par exemple imaginer qu’il est un marchand allant de ville en ville pour vendre divers machines magiques. Cette simple idée nous donne déjà des pistes narratives (il faudrait que le personnage parle comme un marchand de foire) et même de décor (on peut imaginer que la scène est la reproduction de son stand). Le fait de faire cela donne un prétexte à l’histoire (le personnage arrive sur scène car il vient d’arriver dans une nouvelle ville) et une cohérence à l’ensemble (les spectateurs jouent le rôle du public devant le stand, on parvient ainsi à briser le quatrième mur de manière logique, sans juste « faire un tour de magie pour faire un tour de magie »).

Maintenant que l’ambiance générale est fixée, il faut désormais travailler sur le texte en lui-même, qui donnera vie à toutes vos idées…

Construire une histoire

Toutes ces pistes qui se forment petit à petit sont autant d’éléments qui peuvent alors s’assembler pour créer une véritable intrigue principale. On pourrait imaginer, pour reprendre l’exemple steampunk, que l’objectif du personnage sur scène est de construire la machine dont il rêve, mais qu’il lui faudra pour cela surmonter un grand nombre d’obstacles qui seront autant de prétextes à la réalisation de tours de magie pendant le spectacle.

La création d’une histoire, même si elle se base sur ces éléments, n’est jamais facile (si ça l’était il n’y aurait pas d’intérêt après tout !). Le mot d’ordre de votre histoire est cohérence. Demandez-vous toujours pourquoi à chaque élément introduit. Par exemple, il peut être utile de se demander pourquoi un effet magique se produit. D’où vient cette magie ? Vient-elle du personnage en lui-même qui serait doté de pouvoirs (et cela est-il logique par rapport à ce que vous avez écrit sur l’histoire de votre personnage ?) ou vient-elle par exemple des objets en eux-mêmes ? 

Pour reprendre l’exemple steampunk, on serait tenté de dire que le personnage en lui-même n’a pas de pouvoirs, mais que ce sont les objets en eux-mêmes qui sont chargés d’un pouvoir. Ce sont les machines à vapeur merveilleuses qui détiennent le pouvoir, le personnage ne fait que l’observer, parfois même le subir.

Mais une fois que l’on a dit cela, il nous faut creuser un peu plus. Et comme on ne s’improvise pas écrivain, certaines personnes talentueuses dans l’écriture de scénarios nous ont rendu la chose plus aisée en vulgarisant des méthodes dans des livres. A ce titre, je vous recommande les livres Écrire pour la magie de Benoit Grenier, Le pouvoir de la narration magique de Claude de Piante et Le guide du scénariste de Christopher Vogler duquel on tire une structure générale qui peut s’appliquer à peu près à n’importe quel spectacle et qui comporte 12 étapes.

Christopher Vogler explique que l’on peut facilement écrire une histoire en se reposant sur ces 12 points que sont les suivants : 

  1. Le monde ordinaire : le décor est planté sur notre héros qui vit dans un monde ordinaire. C’est l’instant initial où l’on apprend à le connaître, où l’on découvre ses forces, ses faiblesses, mais aussi son monde à lui qui n’est finalement pas si loin du nôtre…
  1. L’appel de l’aventure : pour une raison ou pour une autre un problème survient, un problème que doit régler le héros. C’est le moment où l’aventure commence, là où le personnage commence à surmonter les péripéties.
  1. Le refus de l’appel : le héros a peur des conséquences de cet appel de l’aventure. Cet appel n’est pas une chose simple, il doit affronter ses peurs pour arriver à surmonter les épreuves.
  1. La rencontre avec le mentor : une personne, que le héros rencontre, va l’aider, d’une manière ou d’une autre, à surmonter les épreuves. Souvent, ce mentor est passé par les mêmes épreuves que le héros à une autre époque, et est ainsi de bons conseils pour surmonter les épreuves.
  1. Le passage du seuil : c’est le moment où le héros prend son courage à deux mains et se lance enfin dans l’aventure. C’est le moment de bascule de l’histoire, là où elle commence vraiment.
  1. Les épreuves, les alliés, les ennemis : le héros rencontre sur son chemin diverses épreuves et ennemis mais aussi des amis sur lesquels il peut se reposer. Le héros devra triompher de ces obstacles pour parvenir à son but.
  1. L’approche de la caverne : le héros n’a jamais été si proche de son objectif, de ce pourquoi il affronte toutes ces épreuves. La caverne est une métaphore pour désigner l’endroit où se trouve le saint graal tant recherché par le héros.
  1. L’épreuve suprême : la dernière épreuve, souvent la plus redoutable, après laquelle le héros pourra atteindre son saint graal, aussi appelé l’élixir.
  1. La récompense, l’élixir : le héros parvient à triompher de l’épreuve finale et obtient ce qu’il attendait tant : l’élixir.
  1. Le chemin du retour : le héros retourne chez lui, parfois non sans mal car il doit souvent affronter la colère des personnes à qui il a pris l’élixir.
  1. La résurrection : le héros est revenu dans son monde ordinaire initial, mais une chose a changé : il n’est plus le même, il est parvenu à mettre la main sur l’élixir, et son voyage l’a profondément transformé et marqué.
  1. Le retour avec l’élixir : le héros utilise l’élixir pour répondre aux problèmes qu’il avait initialement. C’est la conclusion de cette épopée.

Cette liste de 12 points n’est évidement pas à prendre au pied de la lettre. Elle n’est là que pour venir structurer votre spectacle, vous donner matière à réfléchir. Certains points pourront être retirés, d’autres fusionnés ensemble, … l’essentiel est que cette structure permet de donner des idées de scénario presque à la volée, avec une structure qui a fait ses preuves.

A cette histoire qui se construit il nous faut maintenant lui ajouter des effets magiques, ce qui nous amène à la partie suivante.

La sélection des tours

Puisque nous nous essayons à la création d’un spectacle de magie, encore faut-il y inclure… de la magie. Nous avons commencé par écrire l’histoire avant d’y inclure nos tours, l’inverse peut être également possible, même si sûrement plus difficile. Nous vous présentons cette manière de faire pour fixer les idées et vous donner des pistes, libre à vous de vous conformer ou non à ce canva.

La magie a de cela de particulier qu’elle joue de manière puissante avec les émotions des spectateurs. Le rôle du magicien va donc être de gérer au mieux les sursauts d’émotions, et de faire varier l’impact en alternant moments forts et moments moins forts.

Une attention sera également apportée à l’alternance d’effets visuels avec des effets plus interactifs. En effet, il sera plus difficile (mais pas impossible) de créer un spectacle sans aucune interaction avec le public. De même, une demande constante d’assistant sera difficile à justifier. Dans tous les cas, sans alternance, le spectacle perdra en dynamisme.

Un autre moyen de rendre l’ensemble dynamique est d’utiliser les rappels. Rien ne vous empêche durant l’un de vos effets magiques, de mettre un rappel à l’un de vos effets magiques précédents. Par exemple, un objet qui disparaît au début du spectacle et qui réapparaît de manière inattendue à sa toute fin constitue un rappel de l’effet initial. En utilisant ces rappels de manière croisée, imbriquée, voire en mélangeant les deux, vous apporterez de la surprise et un côté « bien construit » à votre spectacle, montrant que tout semble avoir été réfléchi.

Enfin, un point qu’il nous semble important d’aborder est celui de l’effet magique en lui-même. Un tour de magie ne devrait pas être une simple démonstration de force, le tour doit s’inclure naturellement dans l’histoire. Il ne suffit pas de copier-coller un tour et de l’inclure tel quel dans le spectacle sans le retoucher. Cela n’aurait pas de sens. Il faut savoir ouvrir l’effet à d’autres types de présentations. Prenons un exemple : vous souhaitez absolument présenter le tour du sel et du poivre se séparant dans la main du spectateur, car vous en trouvez l’effet sensationnel (et il l’est). Pourquoi ne pas aborder cela sous l’angle du sable noir et blanc que vous parvenez à séparer (vous parvenez finalement à séparer le bien du mal représentés par les sables). Pourquoi ne pas ainsi aborder les questions de Yin et Yang, tout ce qui est autour de la spiritualité plutôt qu’une simple séparation de poivre et de sel ? Un même effet, dont la structure, l’effet et la méthode ne changent pas, parvient à donner une toute autre image simplement en changeant l’angle avec lequel on l’explique. Ne vous privez pas de ce pas de côté qui vous permettra de présenter des effets d’une manière originale et jamais vue. Cela vous permettra de mettre un pied dans la création de vos propres routines, rendant votre spectacle unique et cohérent avec votre personnage.

Conclusion

Nous pourrions continuer encore longtemps ces explications sur la création de spectacle, mais l’idée était de vous partager certaines ressources essentielles, des points clefs et importants pour vous donner les bases autour de cela. Nous aurions pu parler des méthodes concrètes pour apprendre son texte, de la logistique autour du spectacle, et de bien d’autres choses passionnantes encore, mais cela sera pour une prochaine fois !

Nous espérons que ces quelques éléments vous aurons été utiles, et n’hésitez pas si vous avez la moindre question, nous sommes là pour y répondre ! Si vous avez un spectacle que vous êtes en train d’écrire, nous serions ravis de vous aider sur ce projet, aussi, n’hésitez pas à nous contacter !

Pour aller plus loin :

De Piante, Claude, Pouvoir de la narration magique (Le) Sur les traces de Jean Merlin…, Volume 1 Magie générale et rapprochée, 2024.

Grenier, Benoît, Écrire pour la magie Guide d’écriture scénaristique destiné aux magiciens, Georges Proust (11 rue Saint Paul 75004 Paris), 2015.

Renoux, Jonathan, Spectacle en couleurs, Le cabinet d’illusions (39 rue des mouettes – Cauville-sur-mer), 2022.

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